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Raoul
--> nouvelle

 

        Ce matin, Raoul est tombé de son lit. Chargé comme un poids lourd d’Allemagne de l’Est lancé à fond sur une autoroute du Portugal, il cherchait désespérément à retrouver l’équilibre. Un matin d’Édimbourg aurait semblé bien dégagé au regard des épaisses couches de brumes qui encerclaient son cerveau. C’était la dernière fois, se dit-il. J’arrête de boire. Trop dangereux. Il ne croyait pas si bien dire…

        Huit heures, le réveil hurle encore à la mort à travers tout l’appartement. Dans sa chute,  Raoul avait embarqué tout ce qui n’était pas solidement arrimé et qui se plantait sur sa trajectoire . Le réveil était devenu introuvable dans ce désordre  et il semblait plus facile à Icare de sortir du Labyrinthe par la porte, que de retrouver ce satané gueulard qui bientôt ferait bondir de rage tout l’immeuble et se précipiter, comme une meute de chiens, après un pauvre animal traqué et essoufflé, s’il ne se dépêchait pas de l’éteindre.

        Dix heures, le moteur diesel de la camionnette tousse comme un tubard chronique en phase terminale .La radio crachote un vieux truc d’Ultravox « reap the wild wind », rien à voir avec l’ambiance .De toute façon, la journée est partie en vrille alors c’est pas ce genre de détail qui va modifier durablement le cours de sa vie. Dernière sèche dans le paquet. La pluie fait rage, orage même et le ciel orange se déchire péniblement sur le bouchon de la nationale, comme les lambeaux de platitudes de son existence hasardeuse. Ce matin, Cosette n’a qu’à bien se tenir car les dieux sont vraiment furax.  Il manque plus qu’un type aille se jeter du pont sur le toit de sa caisse pour achever de planter le décor.

        Maintenant, il comprend très bien pourquoi Chloé s’est barrée ; Une vie pareille, ça ferait même pas rêver un réfugié clandestin. -Tu parles, ils ont compris ,c’est pour ça qu’y s’arrêtent pas chez nous. Trop merdique ici. Ils auraient l’impression d’être encore chez eux-.

(Raoul était un peu sociologue les lendemains de séisme).

        -Bonjour monsieur, gendarmerie nationale, contrôle du véhicule, vous avez les papiers ?

        -euh oui je crois , attendez ,voilà tenez !

        -Vous rouliez à cent kilomètres heure à l’entrée d’une agglomération. Vous croyez que c’est la fête foraine ici ? Suivez moi !

        -D’accord, m’sieur Ténardier.

        -Pardon ?

        -Non, rien, laissez tomber !

 

        Restons cool, se dit Raoul, avec le cataclysme d’hier, il doit rester des traces et c’est pas le moment de se faire piquer le permis. Souffler et c’en est joué. Le loyer en retard, les factures qui plombent le frigo, c’est pas l’heure de jouer les héros. Quelques points et ma paye d’intérimaire, c’est déjà assez cher. Une chance qu’ils épluchent pas trop la caisse.

 

        -Non mais vous avez vu l’heure ! Hurle le chef d’équipe au moment ou Raoul déboule dans l’atelier .

        -On est pas chez Mickey !  Vous croyez qu’elles vont se souder toutes seules les pièces ! Moi j’appelle votre boite .C’est pas la peine de venir demain. J’vais vous sa…

        Un uppercut mit soudain fin à la discussion,. Après deux molaires, le petit chef n’avait rien à ajouter. Alors il mit sa main devant la bouche comme pour montrer qu’il allait se taire. Mais Raoul était déjà parti. Depuis le départ de Chloé, il était parfois un peu sensible, surtout avec les petits chefs et de toute façon, leurs phrases c’étaient toutes les mêmes. Ça finissait toujours par « DEHORS ! »  Là, il avait juste fait un raccourci.

 Forcément Raoul était déçu et restait intérieurement choqué. Haïssait on chaque homme en restant étranger aux urbanités ?  

        -Vous comprenez bien qu’on peu pas démolir tout le monde, monsieur Ramires,(Raoul était d’origine espagnole, il avait le sancho)   lui dit Paula, la petite blonde de Tempowork. Sinon, on ne pourra plus vous proposez de mission. La fille était plutôt gentille avec Raoul. Elle l’avait dépanné après le départ de Chloé. Elle avait même payé de sa personne et depuis, elle  s‘arrangeait toujours pour amortir les crises. C’était une fille bien, pas une de ces droguées du boulot qui ne regardent que leur carrière. Non, cette fille elle respirait la fraîcheur de la vie, c’était un bonbon à la menthe. Une fille comme elle , ça vous redonnait le goût de vivre au moins jusqu’à la prochaine mission.

        -Bon j’ai un truc pour vous , de nuit , ça vous fera du bien . C’est très calme. Présentez vous à dix-neuf heures.

        -Très  bien, merci.

  

        «… because there’s a monster, living under my bed, whispering in my ear, there’s an angel with a hand on my head… »

 

        Raoul se disait  qu’un jour il faudrait cesser les galères et se poser un peu . Mais en général, ces bonnes résolutions s’évaporaient après la troisième bière ensuite c’est la vie qui reprenait le dessus.

        Le soleil s’agrippait dans les branches des tilleuls en fleurs. Sur une pierre, un lézard  peaufinait son bronzage. Raoul somnolait étendu de tout son long sur le reste du canapé, dernier survivant de l’ouragan « Chloé » . C’était un truc de force  sept-huit sur l’échelle de Richter, de la fission atomique. Pas une assiette, pas un seul bibelot n’avaient résisté.  Trois jours complets à ramasser les morceaux. Même les voisins étaient venus le premier jour, alertés par les détonations et les cris. Ils avaient attendu l’accalmie pour se pointer avec des balais et des sacs poubelles ( à croire qu’ils en avaient vu d’autres). Nettoyer les restes d’une garden-party à Tchernobyl n’était pas une mince affaire. Il fallait de la technique et du courage. Seul le canapé, donc , avait été trop lourd pour ne pas passer par la fenêtre. Mais il ne s’en était jamais vraiment remis. Avec ses dix-sept point de sutures, Raoul avait eu un peu plus de chance. La cicatrice s’était bien réparée. La plaie avait surtout  marqué à l’intérieur, mais Raoul restait discret sur le sujet.

        Raoul s’extirpa comme il pu du canapé, s’étira en laissant l’air s’infiltrer par toutes les alvéoles de ses poumons. L’après-midi s’annonçait plus reposant que la matinée. Le livreur avait eu une crevaison juste en chemin. La pizza de Raoul  était froide, le type  lui avait offert les bières. 

        Dans le supermarché, tous les articles étaient au garde à vous. Raoul était  toujours très affecté  à l’idée que des familles entières avaient sué sang et eau  pour que tous ces paquets de café finissent alignés sur le rayon d’un magasin de banlieue. Impossible de deviner combien de sortes  il y en avait. Toutes ces marques, toutes ces couleurs, cela devait bien avoir un sens pour quelqu’un. Mais vu le résultat, dans sa tasse, le matin, Raoul se disait que ce devait être une affaire de spécialistes hautement qualifiés.

        -Pardon monsieur, vous pourriez m’aider à attraper ce paquet de lessive s’il vous plait. Ils mettent ça toujours trop haut. C’est à croire qu’ils veulent pas qu’on leur achète leur lessive. Dans la foulée, Raoul, toujours très au fait de la mode, fit basculer le même paquet dans son chariot.

        -C’est à vous les choux-fleur ? Demanda la caissière d’un air fatigué, comme si la ville entière était passée par sa caisse.

        -Euh, non, j’ai que ça. Répondit tout aussi platement Raoul qui subissait l’épreuve de la file d’attente avec une apathie généralisée. Les néons , la climatisation, l’aspect aseptisé de ces lieux avaient toujours  eu raison de ce qu’il restait d’énergie à Raoul. Autrefois, c’est Cloé qui se chargeait des courses. Elle remplissait le chariot en dix-huit minutes. Elle avait une technique à toute épreuves : Aucun arrêt aux stands.(Schumi, si tu m’écoutes fais gaffe).

Cette fille, c’était un missile à tête nucléaire lâché  à pleine puissance dans l’immensité désertique de l’existence. Une comète qui déchirait le ciel. Raoul s’était brûlé  les ailes dans son sillage. A présent, il respirait encore la poussière d’étoile.

 

*

 

            Quinze heures trente, la camionnette  s’effondre épuisée devant la terrasse du ROQUETTE bar. Un zinc comme il n’en existe qu’en banlieue : Tables bancales , chaises dépareillées, décor apocalyptique et clientèle  du même tonneau. Un tableau assez homogène et c’est pas Raoul qui va crevé la toile. Assis à la terrasse, deux petits retraités sirotent tranquillement leur gentiane devant une interminable partie d’échecs. Ils ne parlent presque pas, retiennent leur respiration comme si chaque souffle devait être le dernier ; Comme si leur vie dépendait de la pièce qu’ils vont pousser sur l’immense échiquier de leur existence. Les noirs vont perdre en trois coups. pensa Raoul qui s’y connaissait en échec ; pauvre fou qu’il était errant entre a6 et d3.    

       

        - Ça a pas l’air d’aller fort ? lui dit Cécile la serveuse du roquette.

        - Donne-moi un paquet de blondes,  Cécile te plait . On fait aller.

La discussion de ce matin avait laissé des souvenirs bleutés sur les phalanges de Raoul. Le type avait eu la mauvaise idée de laisser sa bouche ouverte au moment de l’impact ;il avait la dent un peu dure.

        - T’as encore fais des tiennes ? Je t’ai attendu, l’autre soir. t’aurais tout de même pu passer. Je t’avais préparé un petit extra .Cécile était plutôt douée pour servir les clients et tenir le comptoir. Elle était pour ainsi dire née dans un bistrot. Elle connaissait le métier sur le bout de ses ongles cassés. Mais coté sentiments, c’était ardoises impayées et faux numéro.  Raoul connaissait  bien les « extra » de Cécile . Ça commençait par un repas à moitié froid ou brûlé avec un apéro- pour se détendre-. Ensuite, elle avait toujours froid entre les jambes...Mais le plus dur, c’était après lorsqu’elle passait sa vie en revue. Et elle le faisait à chaque fois. Une vraie  collection de trucs foireux. Ca vous ferait passer un documentaire à la cinémathèque  de Villeneuve sur Seine, pour une soirée « guest star » à Disney land.

 

        -Tu l’as sacrément dérouillé le boss, ce matin ! L’est parti direct aux flics. La tête qui tirait. Un portrait pareil, même Picasso l’aurait pas su lui faire ! Mon salaud, t’as une de ces droite ! Qu’est –ce tu bois ? C’est moi qui rince. Pour fêter ton départ de chez nous et pour avoir mis ton poing sur son « i » à ce ringard.  Raoul n’avait pas vu débarquer son collègue du matin. L’idée de trinquer avec ce type ne l’enchantait pas véritablement, mais le tableau se devait d’être complet .Il se laissa tenter par un jaune. La couleur délavée du liquide lui semblait convenir parfaitement à l’atmosphère générale de la scène. De plus, la bière à forte dose ça faisait vidanger des citernes entières.

        Le soleil avait entamé son inexorable descente aux enfers, drainant dans son sillage tous les embryons d’espoir d’un ciel plus clément. Noyée dans un océan de béatitude et de pastaga mélangés, une abeille audacieuse avait fini sa course dans le verre de Raoul. Encore une âme perdue, pensa soudain Raoul.

*

        Les chemins qui mènent à la gloire, ressemblent le plus souvent à des autoroutes illuminées, empruntées par le gotha. S’il arrive, parfois, qu’un auto-stoppeur audacieux monte en marche, il doit alors veiller à ne pas se faire descendre en route. Il parait que l’enfer est pavé de bonnes intentions, mais regardez seulement la bande d’arrêt d’urgence !

 

*

 

        En sortant de sa douche, Raoul s’aperçu qu’il ne lui restait plus que deux heures avant la nouvelle mission.

        -Allô ! Paula, J’ai oublié de prendre les fiches horaires et l’ordre de mission....

        - Écoutez !  Ce n’est pas grave. Je vous les apporterais moi-même à l’entrepôt Mécalink . Je dois y passer pour régler certains dossiers avec eux. Mais soyez ponctuel , ils vous attendent. Je vous faxe l’adresse et un plan pour vous y rendre. A ce soir.

        -Merci.

        Raoul ôta son peignoir. C’était celui de Chloé. Il se rappelait d’elle, les soirs d’été, sur la terrasse, lorsqu’ils se  mettaient tous les deux en maladie et qu’ils ne quittaient pas le lit. Ils pouvaient faire l’amour toute la journée, ne s’arrêtant que pour manger. Le livreur de pizza et le traiteur au  coin de la rue avaient même fini par leur faire des remises tellement leurs commandes ressemblaient aux convois humanitaires pour les pays du tiers monde : un flux tendu de petits plats pour calmer les petits creux, avant de reprendre leurs ébats. Après deux jours, ils émergeaient lentement, prenaient un grand bain. Chloé s’allongeait sur la terrasse pour sécher au soleil. Un truc se resserra dans le ventre de Raoul, comme un boa constrictor autour de sa proie. Drôle cette impression d’être une petite souris de un mètre quatre-vingt-deux. Raoul avait envie de hurler. Un râle profond et strident, comme un mulot pris dans un piège à mâchoires, déchira subitement le calme embrumé de cette séquence nostalgique. Raoul arracha le papier de la télécopie, le plia et le mis dans son portefeuille.

 

*

        En éteignant son mac, Paula se dit qu’il fallait bien un jour qu’elle prenne les devants. Ce type, elle n’arrêtait pas de penser à lui.- Tout de même, il est plutôt craquant. Dommage qu’il n’aie pas de chance..-  Paula était vraiment un ange, un genre de valkyrie des temps modernes qui avait jeté ses ailes sur le dos de Raoul, son einherjar préféré –La chance tourne parfois, pensa Paula .Il ne peut pas finir sa vie dans cet état. Ce serait vraiment injuste-

        -Allô ! ici Paula S. de Tempowork, Je passerai tout à l’heure pour vous porter les nouveaux contrats dont nous avons parlé ce matin. Merci de prévenir le RH. au revoir !

        Il restait du temps, avant le rendez-vous avec Mecalink . Paula en profita pour faire les magasins. Une envie soudaine de rénover sa garde-robes. Allez savoir à quoi elle pensait, en rêvassant,  devant ce petit ensemble en vitrine. Ce qui est absolument indubitable, c’est que, sur elle , ce truc aurait fait naître des montagnes de désir jusque dans les rangs des joueurs de bridge de l’amicale de la maison de retraite de Bligny .Un truc à dérégler tous les pace-maker du quartier. Après trois boutiques, la carte bleue de Paula avait viré au rouge ardent : «  à ne manipuler qu’avec des gants ignifugés » . Mais le résultat valait bien quelques brûlures. Même la vendeuse, derrière son comptoir n’était pas restée indifférente à ce que lui avait montré Paula dans la cabine d’essayage.

 

*

 

        Dix-huit heures cinquante-sept la camionnette arrive à pleine vitesse près de l’entrepôt. Raoul est déjà en pole position pour le grand prix des retardataires (le fils inavoué de Poulidor et de Alesi ).Lorsque jailli de l’enfer, où dont ne sait quel scénario, un feu de circulation s’enflamme d’un rouge sang, juste devant ses yeux. Dans un élan désespéré, Raoul se précipite sur le frein  qu’il écrase de toutes ses forces. Mais  emportée dans sa course, la camionnette se propulse au milieu du carrefour.

        La traînée de gomme pourra témoigner :Les pneus n’ont pas supporté la surchauffe. Ce qui s’est traduit par un double éclatement et le retournement du vehicule. La camionnette termina sa course dans la soute d’un autocar de touristes hollandais. Paula, qui  arrivait au même instant, de l’autre côté du croisement, assista totalement désorientée à la scène. Dès qu’elle reconnut la camionnette de son cascadeur d’intérimaire, elle dégaina son portable pour alerter les secours, tout en se précipitant pour extirper Raoul de cette sculpture urbaine d’acier et de fumée qui ornait la voie publique. Des bris de verre et une tache de sang auréolé d’une lueur bleutée ;Une sorte de bande annonce de l’apocalypse hantait l’atmosphère pesante. Paula aurait  tout fait pour ne pas voir le film. Même si les esquimaux y étaient les meilleurs du Cosmos.

        Le tailleur froissé, les cheveux en vrac, les collants déchirés et le Rimmel totalement liquéfié, Paula n’aurait jamais imaginé approcher l’homme de ses rêves dans cette tenue. À genoux sur le bitume, elle lui maintient la tête contre son ventre. De sa joue glisse une larme - un éclat de diamant tombé des yeux d’un ange- . Le dernier souffle de Raoul vient s’éteindre sur les lèvres de Paula.

        -AAAAAAAAHHH !!!!!!!!!!!

 

*

        Le paradis était peut-être là. Il était passé si souvent à côté et ne l’avait pas remarqué. Si cela était le prix  du bonheur, l’addition restait un peu salée. Mais Raoul n’avait pas eu le temps de le regretter. Cette dernière vision, il allait la garder pour lui tout seul...Paula se trouvait là, totalement impuissante devant le carrefour de leur destinée. On devait tous, un jour, prendre un bus.

Frederic Hochereau 

Ecrit par frederichochereau, le Lundi 1 Mars 2004, 23:59 dans la rubrique "Premiers Pas".

Commentaires :

Anonyme
06-09-07 à 15:46

super Raoul

salut toi!!!! Y'avai longtemp ke j'avai entendu parlé de raoul je pense ke je ne l'avais jamais lu entièrement j'espère ke tu va bien ainsi ke ta petite famille!! Jte fais des bisoux a bientot j'espère. Céline